Une avancée des réflexions nationales sur le cadre réglementaire nécessaire au développement de l’agrivoltaïsme

À l’occasion de la dernière réunion de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire ce mercredi 23 février 2022, l’Assemblée nationale a présenté le compte rendu d’une mission flash (de 2 mois) sur l’agrivoltaïsme.

Cette mission riche de 50 personnalités auditionnées et de 23 contributions écrites a pour vocation d’ouvrir le sujet de l’agrivoltaïsme à des perspectives de travaux complémentaires approfondis.

Pour mener à bien leurs travaux, les co-rapporteurs de cette mission, Jean-Marie SERMIER et Sandrine LE FEUR, ont auditionné différentes personnalités issues des représentants de la transition énergétique, de l’association des maires ruraux de France, d’organismes de recherche, d’associations de protection de l’environnement, d’énergéticiens, de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) et d’acteurs du monde agricole.

Dès le début de leurs travaux, ils ont été confrontés à la multiplicité des définitions de l’agrivoltaïsme et les interprétations divergentes de ce terme. De manière conjointe, leurs travaux démontrent que l’agrivoltaïsme pourrait apporter une solution à la transition énergétique d’une part et à la transition économique et la viabilité du monde agricole d’autre part.

Toutefois, l’agrivoltaïsme suscite des craintes quant à un développement irraisonné pouvant porter atteinte aux agriculteurs, à l’artificialisation des terres agricoles et aux problématiques d’acceptabilité sociale. L’agrivoltaïsme pose aussi des problématiques de spéculation foncière avec des loyers perçus jusqu’à 5 000€ /ha, un intérêt économique conséquent pour les propriétaires fonciers, très loin des loyers de fermage habituels (l’indice nationale se trouvant plutôt aux alentours de 107€ /ha pour un fermage).

Une définition évidente de l’agrivoltaïsme

Face au manque de consensus sur la définition apportée à l’agrivoltaïsme, il paraît indispensable aux rapporteurs de proposer une définition inclusive et précise de l’agrivoltaïsme.  

Ils définissent alors l’agrivoltaïsme comme :

La coexistence sur une même emprise foncière d’une production électrique significative et d’une production agricole également significative.

Ils précisent ensuite que la co-activité sur une même parcelle sans juxtaposition ne constitue pas de l’agrivoltaïsme, tout comme les panneaux photovoltaïques sur toitures de bâtiments ou des centrales au sol sur terres agricoles sans production agricole pérenne.

La production électrique ne doit pas prendre le dessus sur la production agricole pour ne pas transformer le projet en projet “alibi”. Pour les co-rapporteurs, même en cas de légère baisse du rendement lié à un moindre apport lumineux, la production agricole doit rester significative. Il ne faut cependant pas que ce critère soit préjudiciable aux agriculteurs en cas d’aléa climatique qui pourrait pénaliser la production indépendamment des panneaux. Ce critère doit donc être pris en compte sur plusieurs années et non une seule. On constate l’importance évoquée d’un suivi technique sur les projets agrivoltaïques, élément que nous défendons

Cependant, il aurait été intéressant que cette mission apporte une définition précise, à partir d’éléments chiffrés par exemple, de ce que représente réellement le caractère significatif d’une production agricole et comment il peut être apprécié. Sans la définition du caractère significatif d’une production, on se retrouve face à une interprétation libre de la part des différentes parties prenantes. 

Les co-rapporteurs précisent toutefois que pour juger du critère de production, il faudra comparer des productions similaires appartenant à un même territoire. En effet, une production ovin lait dans les Pyrénées basque n’a rien à voir avec celle qui est pratiquée dans le Larzac.

Enfin, l’activité agrivoltaïque doit être réversible. La fin de l’activité doit permettre de revenir à une activité agricole significative en dehors de toute activité de production d’énergie.

La création d’un observatoire de l’agrivoltaïsme

La création d’un observatoire de l’agrivoltaïsme est préconisé par le groupe de travail, présentant différents objectifs :

  • Recenser les projets réellement agrivoltaïques (s’accordant à la définition proposée),
  • Partager les bonnes pratiques (centre de ressources pour agriculteurs), 
  • Permettre le recensement des sites artificialisés ou dégradés pour orienter en priorité les énergéticiens vers ces sites
  • Offrir des indicateurs montrant le développement des projets agrivoltaïques et leur progression dans les objectifs fixés par la PPE

Pour les co-rapporteurs de cette mission, l’installation de panneaux photovoltaïques sur les sites dégradés et les toitures ne suffisent plus, l’agrivoltaïsme s’avère donc nécessaire pour l’atteinte des objectifs de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (35GW minimum en 2028, soit 30 000 ha d’installations photovoltaïques). Cette superficie ne peut toutefois pas être réellement définie au vu des besoins agroclimatiques de chacune des activités (agricole et photovoltaïque).

Vers une évolution du cadre réglementaire de l’agrivoltaïsme

Cependant, une évolution du cadre réglementaire est nécessaire et chaque co-rapporteur a présenté ses pistes d’évolution.

Pour Jean-Marie SERMIER, il serait utile de faciliter le lancement de petits projets agrivoltaïques, en relevant le seuil des 3kw de puissance crête en dessous duquel les formalités sont allégées. Toutefois, il ne précise pas à quel point ce seuil devrait évoluer.

Sandrine LE FEUR n’est pas favorable sur ce point, ce qui est compréhensible quand on considère les risques de dérives, mais nous pensons que ces petits projets pourraient  constituer une opportunité pour les agriculteurs de devenir les initiateurs de projets agrivoltaïques sans investissement lourd de leur part. Il suffirait alors d’une demande d’acceptation auprès de la Chambre d’Agriculture, qui jugerait alors de leur pertinence agricole. 

De son côté, Sandrine LE FEUR préconise de réduire le foncier utilisable pour le photovoltaïque en modifiant le Code de l’Urbanisme afin que l’implantation du photovoltaïque sur terres agricoles ne puisse se faire uniquement si elle permet une activité agricole significative. Il reste à savoir comment déterminer si un terrain agricole permet une activité significative sous photovoltaïque et sur la base de quels critères.

L’expression d’un consensus en faveur de l’agrivoltaïsme

Les co-rapporteurs présentent un consensus : l’agrivoltaïsme permet de sécuriser le modèle économique des exploitations agricoles et de s’engager dans la transition énergétique. ll faut cependant préciser ici que cette sécurisation du modèle économique doit passer selon nous par un cadre clair. Il doit permettre d’encourager la production alimentaire et non de rémunérer un propriétaire foncier pour la production d’énergie.

L’agrivoltaïsme peut avoir des effets positifs sur les cultures et la protection face aux aléas climatiques, servir d’abri pour l’élevage, mais aussi aider les agriculteurs dans leur démarche de transition écologique. A ce titre, il pourrait favoriser les conversions en agriculture biologique, réduire leurs besoins en produits phytosanitaires en favorisant la diversification des ateliers et ainsi s’engager dans une agriculture durable.

De manière générale, l’agrivoltaïsme peut aider à diversifier les productions d’une exploitation, à augmenter son autonomie et à diminuer sa dépendance aux intrants chimiques. Dans ce type de démarche, l’agrivoltaïsme s’accompagne ainsi d’une amélioration de la qualité des sols.

Une évolution nécessaire du cadre des Appels d’offres de la CRE

Les co-rapporteurs notent aussi que si l’agrivoltaïsme peut apporter un complément de revenu aux agriculteurs, et nous insistons sur l’importance de définir un cadre clair pour ce complément de revenu, c’est aussi parce qu’il existe des systèmes de soutien public à la filière qui apportent une sécurité aux acteurs. Les appels d’offres de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) offrent un outil précieux au ministère pour sanctionner les projets qui ne répondent plus aux exigences des appels d’offres.

La CRE distingue les projets sur terrains agricoles des projets agrivoltaïques, mais la majorité des communes ne sont pas éligibles aux projets sur terrains agricoles (les communes étant soumises au PLU). Pour l’agrivoltaïsme la CRE exige une synergie entre les productions mais aussi un côté innovant. C’est ce côté innovant qui est difficile à mettre en évidence dans les projets et peu de projets agrivoltaïques sont aujourd’hui éligibles.

Les travaux menés montrent donc la nécessité de faire évoluer le cadre des Appels d’offres de la CRE, en les rendant plus accessibles à davantage de projets agrivoltaïques sans les lier automatiquement à des exigences d’innovation lorsqu’ils reposent sur des technologies plus classiques. Cette mesure permettrait d’encourager des agriculteurs à se lancer dans l’agrivoltaïsme et rassurerait les développeurs et investisseurs. 

Il y a aussi une nécessité de faire évoluer le cadre d’application des aides de la PAC pour que les agriculteurs puissent conserver leurs aides. En effet aujourd’hui la réglementation limite l’accès aux aides des terres sur lesquelles se trouvent des panneaux photovoltaïques (pas plus de 15 jours par an d’activité non agricole), et ne convient plus à la réalité de l’agrivoltaïsme, où la production agricole n’est pas ou peu affectée par la présence des structures.
Dans l’attente d’une évolution de la PAC, de notre côté nous avons développé la PAC Énergie afin de proposer un modèle de redistribution de la rémunération profitant aux différents acteurs.

Un cadre réglementaire pour encadrer les projets agrivoltaïques

Les co-rapporteurs expriment qu’il ne faut pas non plus ignorer le fait que l’agrivoltaïsme est une solution aisée pour les installateurs, qui n’ont pas à supporter le coût de la dépollution des terres dégradées. Mais cette situation risque de favoriser l’artificialisation des terres et diminuer le foncier agricole. Les revenus élevés proposés sont une forte tentation d’abandonner la production agricole pour la production électrique ou d’augmenter le loyer des terres agricoles. Cette situation est un frein à l’installation des jeunes agriculteurs. Le groupe de travail considère donc qu’il faut empêcher un développement irraisonné de la production électrique par les agriculteurs.

Selon eux, l’agrivoltaïsme ne doit donc pas détourner les terres agricoles de leur vocation première ni dénaturer le cœur du métier d’agriculteur. A nos yeux, il doit donc être construit comme un outil au service de la pérennité de l’activité agricole tout au long de l’exploitation du générateur photovoltaïque. 

Il faut garantir la durabilité des projets agrivoltaïques, et faire en sorte qu’ils soient correctement accompagnés et contrôlés. Le groupe de travail conseille donc de s’appuyer sur des tiers, des Chambres d’Agriculture et cabinets d’expertise agricole.

Il conseille également de ne pas mettre en place de sanctions si l’arrêt du projet est provoqué par un problème passager, lié aux aléas naturels de l’activité agricole. En revanche, un arrêt durable doit entraîner la suppression des mécanismes de soutien de l’agrivoltaïsme.

Les agriculteurs doivent aussi être associés dans les travaux de normalisation, l’élaboration des projets, leur suivi et contrôle, améliorant l’acceptabilité sociale des projets.

Selon les co-rapporteurs, le cadre réglementaire est nécessaire pour limiter les dérives, mais il ne doit pas constituer un frein au développement des projets agrivoltaïques. Aujourd’hui le processus à suivre pour les projets est très complexe, avec de nombreux interlocuteurs et sans harmonisation entre départements. Il faut donc simplifier le processus administratif :

  • En harmonisant l’instruction des dossiers,
  • En encourageant les Chambres d’Agriculture à partager leurs expériences et coordonner leurs pratiques,
  • En relevant le seuil de puissance électrique au-dessus duquel le permis de construire est requis, qui se trouve être pour intéressant à 500Kw dans les études que nous avons pu réaliser.
  • En mandatant un organisme de contrôle pour s’assurer du maintien d’une activité agricole sur la parcelle.

Un partage équitable de la valeur

Les co-rapporteurs encouragent un partage équitable des revenus avec les agriculteurs, qui doivent être encouragés à devenir actionnaires du projet, et nous les félicitons d’insister sur ce point. Si les agriculteurs ne le souhaitent pas, ils doivent dans tous les cas pouvoir obtenir une contrepartie financière :

  • Un loyer ne pouvant excéder de beaucoup le prix du fermage, bien que les co-rapporteurs ne précisent pas à quel niveau,
  • Les coûts de démantèlement doivent être pourvus dès le début du projet et assurés par l’énergéticien.

Ils précisent que les surfaces agrivoltaïques éligibles sont peu nombreuses et peuvent entraîner une concurrence et une diminution de l’acceptabilité sociale des projets. C’est pourquoi ils conseillent que, si les revenus issus de l’agrivoltaïsme sont suffisamment conséquents, une contribution au compte d’affectation spéciale développement agricole et rural doit être prévue.
La manière dont ce partage sera réalisé reste à définir, mais nous pensons qu’il serait préférable que la contribution soit versée directement à des acteurs de la filière agricole du territoire où le projet agrivoltaïque est mené, permettant un soutien direct au tissu local, une aide aux jeunes agriculteurs dans la création ou la reprise d’exploitation, et une plus grande acceptabilité.

Le renforcement de l’acceptabilité auprès des agriculteurs et populations locales passe aussi par une contribution agricole, en mettant en commun les parcelles utilisables, en ancrant le site agrivoltaïque dans un projet de territoire.

La labellisation est aussi un processus intéressant pour encadrer l’agrivoltaïsme comme c’est le cas avec le label AFNOR qui est perçu cependant par le groupe de travail comme restrictif et limité, nécessitant une évolution. La labellisation génère des démarches supplémentaires mais permet une meilleure acceptabilité des projets de la part de la filière agricole et de la population locale. 

Comme énoncé lors de cette commission, l’agrivoltaïsme est une des réponses possibles à la convergence de notre souveraineté alimentaire et énergétique. 

Le groupe de travail autour de cette mission flash a mené un travail remarquable en peu de temps, permettant l’avancée des réflexions nationales sur le cadre réglementaire nécessaire au développement de l’agrivoltaïsme. 

Toutefois, il aurait été intéressant de montrer que l’agrivoltaïsme est avant tout un outil d’adaptation aux changements climatiques au service de l’agriculture, apportant des effets bénéfiques aux exploitations agricoles. La vocation première des terres agricoles et leur pérennité doit ainsi se placer au centre de la définition de l’agrivoltaïsme.

Retrouvez l’intégralité de la restitution de la mission flash en vidéo ici :

https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11909240_6215ef0dad528

La synthèse écrite de la mission flash est disponible sur ce lien :

https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/462105/4509372/version/1/file/Synthe%CC%80se_MI_flash_agrivoltaisme.pdf

Article rédigé par Lucille NIEF, Xavier BODARD et Lucas OMEZ.